27 décembre 2012
Comme tous les auteurs, j'ai dans mes tiroirs des textes qui n'ont jamais été publiés. Ils n'ont pas réussi à trouver leur éditeur.
Mais, publiées ou non, ces histoires existent bel et bien et j'en ai déjà partagé certaines avec vous, lors de nos rencontres dans les écoles, collèges, bibliothèques.
Ce sont nos petits secrets. Souvenez-vous de cette coquine de Mademoiselle lapin, qui nous a tant fait rire...
Aujourd'hui je vous offre l'histoire de Petit Caillou.
Pour que le plus grand nombre de lecteurs en profitent je le publie sur mon site.
J'ai écrit cette histoire il y a huit ans pour mon fils Thomas. Nous vivions à cette époque à l'autre bout du monde et Thomas collectionnait les petits cailloux ronds de tous les pays que nous visitions.
Ce jour là, nous sommes arrivés sur une magnifique plage de Tasmanie. Il faisait beau, les collines plongeaient dans la mer, le vent du large soufflait en chantant, et, à nos pieds nous avons trouvé ce petit caillou.
Ainsi est née l'histoire de Petit caillou ou le long voyage d'un petit caillou rond.
Je vous l'offre.
Petit caillou, ou, Le long voyage d’un petit caillou rond
C’est l’histoire d’un petit garçon, chercheur de cailloux ronds.
Mais commençons par le commencement.
Il y a longtemps, très longtemps, il y a deux cents millions d’années, quand les dinosaures vivaient encore dans les plaines et les forêts, dans le pays Desmontzagités, par une belle matinée d’été, un gros volcan joufflu, qui s’appelait Grosbourru, se mit à toussoter.
BOUM ! Boumboum et boumboumboum !
Et puis à exploser, crachant tous azimuts, par sa bouche béante, des flots de lave, de cendres, de feu et de rochers. Parmi ces rejets, un tout petit rocher, à peine réveillé, fut détaché d’un gros bloc où il s’était niché. Il sortit du ventre du volcan et plongea dans les eaux bleutées d’une mer très salée. Quelle matinée pour un si jeune rocher ! Il se posa sur le sable douillet et se trouva nez à nez avec un cachalot enrhumé, qui éternuait sans pouvoir s’arrêter.
ATCHOUM ! Tatchoum et ratatchoum !
Notre petit rocher fut projeté tout au fond de l’eau, contre un bon vieux rocher qui lui dit:
— Viens donc là, mon bébé, blottis-toi contre moi, je vais te protéger.
Les jours et les siècles passèrent. Petit rocher se laissait bercer par le flux régulier des marées et s’amusait à faire des galipettes sur le sable mouillé. C’était le plus heureux des petits rochers de la grande mer salée.
Pendant mille fois mille fois mille ans, il se laissa polir par les vagues et le sable et, petit à petit, notre petit rocher devint un beau galet.
— Oh que c’est mignon, un petit galet rond ! chantèrent les poissons.
Un soir, alors qu’il bavardait avec ses copains les oursins, un énorme requin, complètement zinzin, se jeta sur lui et l’avala tout cru. C’était un requin-pèlerin qui partait en voyage à l’autre bout des mers.
Notre petit galet passa donc des années ainsi à voyager, dans l’estomac du gros poisson qui nageait vraiment bien. Puis un jour, le requin se coucha et ne se releva pas. C’était le dernier jour de la vie de ce requin-là. Petit galet profita d’une vague puissante pour sortir de son ventre.
— Ouf, enfin, je respire ! se réjouit-il.
Il était arrivé dans un autre pays, vraiment très joli. Tortues, étoiles de mer, lézards géants et poissons-ballons, c’était sa nouvelle maison. Il y resta longtemps, roulant entre deux courants.
Les jours et les siècles passèrent, car il en va ainsi de la vie, le temps ne s’arrête jamais, il passe petit à petit.
Mais, par une journée ensoleillée, d’un coup d’un seul, tout se mit à trembler, le sol, la mer et tous les gros rochers, et une vague géante s’en alla submerger les arbres, les forêts, les plaines et les vallées. Une météorite maladroite venait de s’écraser sur Terre et avait mis sens dessus dessous tout ce qui y vivait. Le petit galet fut projeté très loin sur le sable sec, dans l’ombre d’un palmier.
— C’est très joli ici, se dit-il, je vais me reposer !
La mer s’était tout à fait retirée, les gros dinosaures semblaient désemparés, il faisait un peu froid, et le soleil boudait. Il resta ainsi, sur le sable sec, des années et des années : soixante-cinq millions, à quelques-unes près. Il dormit longtemps et, en se réveillant, il vit qu’il était devenu un petit caillou rond, parfumé par le vent, doré par le soleil et poli par la pluie.
— Qu’il est mignon, ce petit caillou rond ! chantèrent les feuilles des arbres et les petits brins d’herbe.
Il regarda autour de lui. Il y avait des pierres, de grès et de meulière, du sable tout autour et de drôles d’animaux, qu’on appelait des hommes, qui taillaient les gros blocs, en chantant :
"Ces pierres sont vieilles, sont dures,
fortes comme le temps,
Ce sont des pierres d’eau
De feu et de courage.
Elles sommeillaient avant au fond d’une grande mer,
qui s’est retirée d’un coup,
il y a fort longtemps.
Taillons ! Taillons !
Avec ces pierres des routes nous construirons,
des cathédrales nous bâtirons,
des pavés nous poserons."
Han ! Han ! Han !
Tac ! Tac ! Tac !
Il entendait les hommes parler de guerres et de batailles qui se passaient là-bas, aux frontières du pays.
Les siècles succédaient aux siècles, les combats succédaient aux combats, et petit caillou observait tout cela.
Soudain, un matin, une stupide bombe s’écrasa près de lui et fit voler en éclat la carrière, les hommes, les pierres et la lumière. Mais l’avion s’éloignait déjà, et le caillou rond se retrouva enfoui dans le sol, dans le noir. « Je n’aime pas la guerre ! » se dit-il.
Il s’endormit blotti dans le sable, isolé de tout bruit.
Il attendit peu de temps cette fois, à peine deux mois.
Un matin, une pelle énergique lui fit faire une galipette, jusque dans une brouette. Sapristi, quel réveil !
Il se laissa promener dans la brouette branlante et, chemin faisant, il découvrit un village, une église, une rue défoncée, une grille, un jardin, un trou et... Patatras ! La brouette fut vidée au milieu de la cour, sur un tas de gravier.
Son voyage s’arrêtait là.
Il était allongé au milieu d’un jardin, devant une maison avec des volets verts, du lierre, des arbres et de l’amour tout autour.
Quel bonheur !
Par une belle matinée d’été, alors qu’il rêvassait, une chose incroyable, d’un coup, est arrivée. La main d’un petit garçon sur lui s’est refermée.
Notre petit caillou n’avait jamais rien senti d’aussi doux. Ni le sable, ni la mer, ni la caresse de l’air... Quelle douceur ! Quel émoi !
— Oh ! Qu’il est beau, ce caillou ! s’écria le garçon.
Et sur le ventre tout rond du petit caillou, en lettres capitales, il inscrivit son nom : THOMAS.
— C’est un caillou magique ! C’est mon porte-bonheur ! déclara le petit garçon chercheur de cailloux ronds. Il est beau comme le ciel et la mer et le vent ; il sent bon comme l’herbe, le sel et le soleil ; il est vieux comme la vie et fort comme la Terre ; il me parle d’un monde qui est fait de colères et de douceur aussi ; il sait tout ; il est doux. Ce caillou est à moi ! N’y touchez surtout pas !
Alors le petit caillou, qui avait tant voyagé pendant des centaines de millions d’années, décida de ne plus jamais bouger. Il avait enfin trouvé où il devait habiter, dans le creux de la main chaude d’un tout petit garçon.
— Je suis le caillou de ce petit garçon, soupira-t-il heureux. Je suis à lui pour toute la vie. Et au-delà aussi. Et si la Terre un jour explose en des millions d’éclats, nous partirons, ensemble vers l’horizon, chercher des papillons. Des papillons d’or et de paix. Et nous serons heureux à tout jamais.
Fin.